chronique

Brave bélier masqué

le samedi 12 septembre 2020
Modifié à 7 h 36 min le 12 septembre 2020
Par Michel Thibault

mthibault@gravitemedia.com

On peut bien me taxer de mouton parce que je porte le masque. Mais alors je suis un mouton vaillant, un bélier héroïque ! Car, il faut l’avouer, vivre avec cette pièce de tissu accrochée devant le mâche-patates représente tout un défi. Ce n’est pas pour les mauviettes !

« La patiente spécialiste des yeux a réussi à colmater la fuite d’air entre le tissu et mon visage avec quelques traits de soudure à l’argon.»
Avant même que le couvre-sourire soit imposé, je l’ai adopté à l’épicerie. Des employés du commerce m’ont remercié, voyant dans mon geste une marque de respect à leur égard. Ce qui était effectivement le cas. Ma déférence à leur endroit et envers tous mes semblables susceptibles d’attraper la COVID-19 n’a pas fléchi depuis. Mais ce n’est pas facile. En présence du masque, l’air expiré par ma bouche se dirige vers le ciel. Entre les deux se trouvent mes lunettes. L’eau contenue dans mon souffle se dépose sur mes verres. Ils s’embuent. Soudainement, je n’y vois goutte, les boites de petits pois se floutent. Je suspends l’action de mes poumons pour clarifier ma vision mais la stratégie ne peut durer éternellement. Je dois retirer mes lunettes pour y voir clair. Quelle corvée ! Le phénomène a été particulièrement déplaisant lors d’un test de vue, justement. Comme il se doit, j’étais muselé devant les appareils de l’optométriste. « Je ne vois rien, c’est tout embué » ai-je dû avouer à plusieurs reprises. La patiente spécialiste des yeux a réussi à colmater la fuite d’air entre le tissu et mon visage avec quelques traits de soudure à l’argon. Ou du ruban gommé. Je ne sais pas. Je ne voyais pas bien. Mais quelle épreuve ! Je le pensais jusqu’à ma visite au salon de coiffure. Après quelques mois d’abstinence, j’ai confié ma tête à une spécialiste du raccourcissement capillaire. Ses ciseaux habilement maniés ont fait tomber des débris de cheveux sous mon nez. Le masque les a empêchés de poursuivre leur chute vers le plancher. Ils ont cherché à fraterniser avec les poils de mes narines. Ça picotait. Envie d’éternuer. Un poil a atterri entre mes lèvres. Ça chatouillait. L’enfer !!! Mais j’ai un truc pour endurer ces pénibles moments où mon sourire se bute à des molécules de coton. Je me console en pensant que ces quelques instants de souffrance m’éviteront peut-être de transmettre la COVID-19 à une autre personne. Non, je n’ai aucun symptôme mais je pourrais, un jour, être porteur à mon insu du coronavirus. Si ça arrive, le masque limitera les risques que j’infecte autrui. Alors je vais continuer à être un brave bélier.