chronique

Conte de Noël : Yo l'gros !

le mercredi 23 décembre 2020
Modifié à 10 h 34 min le 24 décembre 2020
Par Michel Thibault

mthibault@gravitemedia.com

Le Soleil de Châteauguay reproduit ici un conte de Claire Sirois, enseignante de Châteauguay à la retraite, paru dans Le Soleil du mercredi 27 décembre 2006. Les illustrations ont été réalisées par sa petite-fille Bianca Boyer-D'Alesio, qui avait neuf ans à l'époque. Bonne lecture !  Incognito, le Père Noël profitait de sa dernière journée de vacances sur un luxueux bateau de croisière à Hawaï. Allongé sur une des chaises bordant la piscine émeraude du paquebot, il se remémorait l’agréable soirée de la veille. Avec Mère Noël, la Fée des Étoiles et son banquier Dollard D’Argentoeil, il avait dansé au clair de lune jusque tard dans la nuit. La Fée des Étoiles avait remporté le premier prix du plus beau costume au Bal de l’Halloween, à Hawaï. Bien sûr, comme toujours, elle brillait de mille feux. Il reviendrait au Pôle Nord avec d’agréables souvenirs plein la tête et sa caméra numérique chargée de belles images à partager. Frais et dispos, il avait hâte de rentrer chez lui pour reprendre le travail colossal qui l’attendait avec tous les préparatifs de la fête de Noël. Il se leva, puis plongea dans l’eau verte une dernière fois avant de retourner à sa cabine pour préparer ses valises de départ. [caption id="attachment_96582" align="alignnone" width="2051"] (Dessin Bianca Boyer D'Alesio)[/caption] Pendant ce temps, au royaume du Père Noël, la tuque des lutins se dressait sur leur tête à la lecture des courriels qu’ils recevaient des enfants à l’approche de Noël. Ils n’en croyaient pas leurs yeux. Tant et si bien qu’ils se réunirent d’urgence afin de faire le bilan de la situation cauchemardesque dans laquelle on se retrouvait. Tous déploraient l’absence du Père Noël en pareil moment, mais son retour attendu dans les prochaines heures les soulageait. C’est Cannasson, le lutin directeur, qui prit la parole pour présider la rencontre chargée d’inquiétude et de perplexité.
École secondaire du Lac des Mille Ours@miotron.ca Envoyé : 28 octobre 2006 11 :15 À : Père Noël.HoHoHo@ponord.com Objet: Liste au Père Noël   Yo man! Yo l’gros. Té bebelle c’tané, je veu des vrai pour allé a la chasse au canare. Avec mon père si ca peu te calmé les naires. Yo man té cool. Je veu un AK47. A place des bales donne moé un bazooka. Ca va être ok. Les bales j’en ai déja. Je va t’envoyé des fotos sur le net avec mes fusis pi moé. Conte su moé. Je va être ton elpeur. Tou les foqués je va les fair disparêtre. Kibble Bette, 12 ans
« Merci à tous d’avoir accepté cette mise en commun informationnelle. Comme vous le constatez, notre éminent psychanalyste, le Doc Pailloussa, assistera à notre séance. Ce matin j’ai donné le mandat à notre secrétaire général Taptap de nous produire un bref rapport. Voici ce premier graphique qui illustre le phénomène embarrassant des données connues jusqu’à maintenant. Rapport que vous apercevez immédiatement sur le méga-écran du local. » Tous blêmirent à la vue du rapport. C’était du jamais vu. Baquet Bancal leva la main pour demander le droit de parole. On lui accorda. [caption id="attachment_96583" align="alignnone" width="2560"] (Dessin : Bianca Boyer D'Alesio)[/caption] « Voilà. Je fais ce métier depuis des lustres, je crois bien être d’âge canonique depuis le temps. Jamais je n’ai reçu de courrier aussi saugrenu ou si intensément chargé de malignité de la part de, malheureusement, bon nombre d’enfants. J’en suis profondément bouleversé. Permettez-moi de vous en livrer quelques exemples. » Vivement, Baquet distribua des copies à tous les participants. On entendit ça et là des oh ! et des ah ! qui finirent en brouhaha tumultueux. Cannasson eut du mal à rétablir l’ordre. Puis le calme revint et le vieux lutin Baquet Bancal reprit la parole. « Je tiens à souligner, comme l’illustre le graphique de Taptap, qu’environ 75 % des courriels envoyés par les enfants sont charmants et normaux. Ceux-ci dressent une liste de demandes légitimes et raisonnables, sauf que 25 % des autres nous font frémir de... disons-le, peur. Voyez l’exemple numéro 13 qui provient d’une école secondaire du Lac des Mille Ours, signé par un certain Kibble Bette. Encore aussi pire, l’exemple numéro 666 de Mont Brassé et le pathétique numéro 808... Baquet voulut reprendre la parole mais le Doc Pailloussa l’interrompit en lui demandant de reprendre le contrôle de lui-même et surtout, de ne pas tomber dans la panique. « Ce n’est quand même pas une poignée de voyous mal-appris qui défriseront le Père Noël. Cependant, le problème est bien réel. Tout ce courrier témoigne de l’agressivité et de la colère montante de certains de nos jeunes. Une question s’impose. Comment en sommes-nous là ? C’est clair que certains jeunes lancent un message. C’est nous qui contrôlons par la menace, par la violence, par l’insulte. D’une certaine manière, ils disent avec violence, nous refusons vos règles, nous établissons les nôtres à la dure. Quelles règles avons-nous établies avec ces jeunes ? En avons-nous établies ? Si oui, leurs ont-elles été bénéfiques ? Il semblerait que non. Pourquoi ? Ce sont des questions à retourner aux hommes et aux femmes qui ont fabriqué ces enfants. Il y a un autre volet problématique à ces nombreux messages, le courriel #13 et le #803 nous indiquent que les hommes ont perdu le nord sinon le bateau de la gestion intelligente de la science de la médecine appliquée et de l’éducation. Kibble Bette a besoin d’un psy et d’un prof de français. C’est urgent ! Ont-ils un système sourd, aveugle et muet ou impotent à ce point là ? Ça ne tourne pas rond chez les humains. C’est sérieux ! Dès ce soir, je vais envoyer un courriel à leur principal dirigeant, je crois qu’on le nomme Jean-Moineau de la Charrette. Au moins pour l’informer. »
De : Gestaposs2666@passympatic.com Envoyé : 26 octobre 2006 23 :36 À : Père Noël.HoHoHo@ponord.com Objet : Nos cadeaux 2006   Mets tes lunettes bin collées sur ton nez. Ouvre tes grandes oreilles poilues. Des mitaines pis des tuques on n’en veut plus ma gang et moi. On veut 4 caisses de 24, 2 caisses de tequila, 2 caisses de rhum blanc, 2 caisses de cognac, du bon. Le reste on va le trouver tout seul. Ma gang, on fait un méchant party à Noël. Open House. Mes parents seront en Floride à partir du 15 décembre. P.S. Y’a pas de cheminée chez nous. Sonne on va t’ouvrir. J’oubliais. On va te rendre un service. Apporte nos cadeaux le 15, en soirée. Ça va te faire moins de travail le 25. Écoute ben le vieux, déçois-nous pas le soir du 15 parce que ma gang et moi on va te retrouver dans tous les centres d’achat où tu vas te montrer la fraise. Je suis certain que tu as compris. Gestapo SS 2666 a le bras long à travers ses rues. Ça serait dommage de perdre ta face. Gestapo SS chef Livraison de marchandise : 15 décembre 2006 Au : 666 Rue Bois Caché Mont Brassé, P.Q.
Sur ces derniers mots, le Père Noël pénétra avec grands éclats de rire dans la salle de conférence. Fraîchement débarqué d’Hawaï, il était plus rouge que jamais. Il eut vite fait de comprendre que la récréation était terminée et retomba aussitôt dans ses bottes. Les lutins Bigoudi, Rataplan et bien d’autres pleuraient à chaudes larmes. Alors, Cannasson raconta tout au Père Noël. C’est là que le sage Père Noël prit la parole devant tous après les avoir calmés. « Bien chers amis, depuis des millénaires nous offrons des noëls aux hommes de la Terre. Pourquoi serait-ce différent cette année ? Ce sera encore le plus beau Noël du monde. J’ai un plan. Dès ce soir, nous convoquons leur ministre Jean-Moineau de la Charrette et ses sbires pour les obliger à faire bien leur travail en donnant de vrais moyens et de bons services à leurs citoyens pour lutter contre la violence et les imbécillités de leur système de gestion. Cette fois, ils devront donner plus que des bonbons à leurs amis. Nous ne les lâcherons pas. Ils seront informés que tous les lutins invisibles leur souffleront aux oreilles et sans relâche la bonne marche à suivre. Ils n’auront d’autre choix que de l’exécuter. Quant aux jeunes enfants violents, nous allons tous les rapatrier avec leurs parents au Pôle Nord et les inscrire à notre université du savoir-être et savoir-faire par amour de la vie jusqu’à ce qu’ils obtiennent leur diplôme de connaissance du bon fonctionnement du coeur des hommes. Pas de chassé-croisé ou de charabia transversal. Allons, tous au travail ! Préparons la grande ouverture de l’Université Père Noël Pôle Nord. À minuit ce soir, nous accueillons tous les mal-aimés et les mal-appris du royaume. Je demande aussi à tous les lutins invisibles de se préparer à partir dès ce soir pour retourner sur Terre accompagner les dirigeants de cette société qui semble avoir perdu le nord. Heureusement, il reste encore 75 % des gens de bonne volonté et le Père Noël ne baissera pas les bras avec eux non plus. » C’est ainsi que se passèrent les préparatifs de Noël cette année au Pôle Nord. Ne reste qu’à attendre que le travail des lutins invisibles porte ses fruits. Certains comme Jean-Moineau de la Charrette eurent un Noël très bref parce qu’ils avaient trop de dégâts à réparer, mais partout ailleurs la fête a résonné dans l’amour et son partage joyeux autour d’un grand sapin tout scintillant. De : LiLibray@vitevite.ca Envoyé : 30 octobre 2006 19 :15 À : Père Noël.HoHoHo@ponord.com Objet : Liste de Noël   Cher Père Noël, je m’appelle Lili et mon frère, c’est Colin. J’ai 8 ans et Colin a 5 ans. Maman est très malade. J’ai peur. Je ne veux pas qu’elle meure et Colin aussi. On ne veut pas de cadeau à Noël. On veut juste un docteur pour guérir maman. Elle s’appelle Nina. Ici, il n’y a pas de docteur pour soigner ma maman. Envoie un docteur à Noël. C’est juste ça qu’on veut. Merci Père Noël. Lili et Colin x o x o x