Tribune libre

Laïcité bien comprise

le mercredi 17 avril 2019
Modifié à 22 h 56 min le 17 avril 2019
Par Production Gravite

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Puisque les tenants anti-projet de Loi 21 de tout acabit sont très vocaux, je considère essentiel que tous les points de vue démocratiques soient bien représentés dans ce débat de société. Je traiterai de trois questions qui sont, à mon avis, actuellement mal abordées et dont certains aspects sont insuffisamment développés dans la discussion publique. Ces questions sont: la laïcité de ce projet précis, l’autorité coercitive de l’enseignant et la raisonnabilité du recours à la dérogation des Chartes. J’aimerais d’entrée de jeu souligner que le concept de laïcité a été inventé pour servir l’enseignement dans les écoles en France au 19e siècle. Il est inexact et incomplet de dire: «Avec la loi de 1905, la IIIe République française décide de séparer les Églises de l’État.» [La laïcité n’est pas identitaire. Alexandre Poulin, Débats dans LaPresse+, 13 avril 2019] Voir: «Loi du 28 mars 1882 sur l’enseignement primaire obligatoire. Journal Officiel de la République française.» Inexact et incomplet car le mouvement pour la laïcisation de l’enseignement public, date de la loi Jules Ferry de 1882. Première question. Les signataires de la lettre du 5 avril 2019 au Devoir intitulée «250 universitaires contre le projet de Loi 21» déclarent que celui- ci «...constitue une atteinte aux droits fondamentaux ... Alors que la Charte des droits et libertés de la personne constitue un socle fondateur de l’État de droit... au nom d’une laïcité anti-religieuse.» La suspension de la Charte canadienne par la clause dérogatoire et l'amendement de la Charte québécoise par le gouvernement du Québec ne brimeront pas les libertés individuelles fondamentales, car la pratique d’aucune religion ne sera empêchée. La loi déclare simplement que les pratiques et signes religieux de toutes sortes seront permis en dehors des lieux et heures de travail par les personnes détenant un mandat d’autorité de l’État. Le droit de pratiquer sa religion est subordonné au droit collectif de recevoir un rapport laïc avec le gouvernement. La laïcité est une notion qui date de 1871 en France, elle a commencé à s’appliquer d’abord dans les écoles, comme la sécularisation de la société québécoise a commencé dans les écoles durant les années 1960. C’est une «conception politique et sociale impliquant la séparation de la religion et de la société civile» et «caractère de ce qui est organisé selon ce principe», notamment le «caractère laïc de l’enseignement» affirmé par la loi du 28 mars 1882.» [Rey, Alain, Le Robert, dictionnaire historique de la langue française, vol 1, Paris 1992] Il est tout à fait légitime pour le gouvernement de hiérarchiser deux droits qui entrent en compétition, ce n’est pas anti-religieux mais au contraire le garant d’une liberté de pratique religieuse lorsque cette pratique n’empiète pas sur la liberté des autres. Nous reviendrons dans notre conclusion sur le caractère fondamental des Chartes. Deuxième question. La Commission Bouchard-Taylor a accouché d’un compromis: «...l’interdiction du port de signes religieux visibles pour les employés de l’État exerçant un pouvoir coercitif ou incarnant au plus haut point l’autorité de l’État (juges, policiers, agents de prison, procureurs de la Couronne et président de l’Assemblée nationale)» [In Due Course]. Pourquoi y ajouter les enseignants? Parce que dans une école les enseignants sont en position d’autorité comme personne d’autre face aux enfants. Ils détiennent une autorité parentale déléguée et une autorité fondée sur la Loi de l’Instruction publique. L’enseignant a plus de pouvoir d’autorité face à l’enfant à l’école que le parent à la maison. Un policier ne peut pas procéder à une fouille du casier ou de l’élève à l’école, l’enseignant peut fouiller le casier et fouiller l’élève. Lorsqu’il doit séparer une bagarre entre étudiant, l’enseignant détient une autorité physique coercitive reconnue par la Cour Suprême. Cette autorité ne découle pas simplement du vague pouvoir d’enseigner. Encore que dans une école au Québec, où l’enseignement est sécularisé depuis la Réforme Parent de 1963-64, un enseignant pavoisant ses opinions religieuses, d’une manière ou de l’autre, serait mal vu de donner le cours Éthique et culture religieuse, ou toute autre formation. «La construction d’une connaissance demande que l’on rompe avec toute autorité extérieure. Le savoir est par essence laïque.» [Rioux, Christian. L‘école au coeur de la laïcité, Le Devoir, 1er avril 2019] Le savoir est agnostique, non-croyant. Troisième question. L’argument disant que l’État doit être neutre mais pas nécessairement les individus qui le représentent parce qu’ils sont protégés par les chartes est fallacieux. L’État n’est ni irréel ni immatériel. Il s’incarne dans ses représentants, dans des lieux et dans les fonctions qu’il assume. La protection des droits de la personne issue de la Charte canadienne peut être limitée lorsque nécessaire. Un citoyen a le droit fondamental d’afficher ses préférences ou ses choix politiques dans l’espace public, mais pas lorsqu’il agit à titre d’officier à une table de scrutin dans un bureau de votation. Les pratiques et les signes religieux demeureront permis au Québec sans contrainte et continueront d’être protégés dans l’espace public, mais pas dans l’exercice d’une fonction de représentation de l’État. Cela est parfaitement légitime. La modération du projet de loi s’exprime par la clause grand-père que j’accepte de façon limite. Jocelyn Maclure, qui s’associe fréquemment avec Charles Taylor, nous dit que l’«...objectif législatif – réaliser la laïcité de l’État – est parfaitement légitime, mais (que) le gouvernement de la CAQ n’a pas réussi à démontrer que sa loi impose des restrictions nécessaires et raisonnables aux droits des personnes visées et il ne tentera même pas de le faire devant les tribunaux.» [Qui remet en question les droits collectifs? LaPresse+, 1er avril 2019] Il dit d'une part que la loi est parfaitement légitime mais que d'autre part elle n'est pas acceptable. Il nie le droit collectif du peuple québécois d’adopter un modèle de laïcité qui sied à sa culture politique et à ses valeurs collectives. Parce que le gouvernement évite le test juridique des tribunaux qui sont, dans la perspective de l'auteur, le seul garant de l'équilibre entre droits collectifs et libertés individuelles multi-culturalistes. C’est ici que pour lui cet équilibre est rompu. En conclusion, la laïcité n’est pas identitaire, mais dans le grand ensemble canadien, où une Charte a été imposée et n’est pas reconnue par le Québec, l’originalité et la différence de notre contrat social ne peuvent reposer que sur une marge suffisante d’indépendance démocratique. En ce moment, notre vie démocratique ne peut passer par un tribunal extérieur à notre société. En cela, la clause dérogatoire est essentielle. Les Chartes sont un produit de notre démocratie et nous étions une démocratie avant les Chartes. Normand Paradis, b.a et scolarité de maîtrise en histoire, UQAM; b.a. enseignement U. Ottawa; Porte parole du comité des citoyen de Châteauguay à la Commission Bouchard-Taylor; Enseignant.