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Le défi d’être policier en territoire mohawk

le mercredi 02 décembre 2015
Modifié à 0 h 00 min le 02 décembre 2015
Par Valérie Lessard

vlessard@gravitemedia.com

Être policier est un métier difficile. Être policier dans une communauté où tu as près de 100 % de chances de recroiser une personne que tu as arrêtée l’est encore plus. Bienvenue dans le quotidien d’un peacekeeper de Kahnawake.

On les reconnait facilement dans le paysage de Kahnawake avec leurs imposants véhicules lettrés rouge vif. Chaque jour, les Peacekeepers de Kahnawake assurent la sécurité des habitants de la réserve autochtone, mais également celle des dizaines de milliers d’automobilistes qui empruntent le pont Honoré-Mercier.

Patrouiller chez soi

Pour John Dee Delormier, peacekeeper depuis maintenant trois ans, l’aspect le plus difficile de son métier, mais également son plus grand avantage, est de vivre et travailler dans une communauté de 10 000 habitants comme Kahnawake. «C’est certain que je vais recroiser les gens que j’arrête, expose-t-il. J’ai dû arrêter des membres de ma famille. Je n’en avais pas envie, mais c’est mon devoir.» D’un autre côté, le fait de connaître les gens qu’ils arrêtent ou à qui il vient en aide, influence sa façon d’intervenir. «On comprend les personnes qu’on dessert. On peut connaître leur historique familial, explique M. Delormier. Par exemple, pour telle personne, son père a été dans les pensionnats autochtones, il a vécu des moments très difficiles, peut-être des problèmes d’alcool. Je vais prendre le temps  d’aller lui parler, j’ai grandi avec lui.»

Une communauté tissée serrée

L’expérience la plus éprouvante qu’il a vécu dans sa courte carrière jusqu’à maintenant a été de retrouver son oncle sans vie. «Il était décédé depuis une semaine lorsque nous sommes allés chez lui. Il y avait trois photos dans sa maison et une d’entre elles était une photo de mon père et moi», raconte-t-il. Il affirme que lorsqu’un tel événement arrive, la communauté mohawk se resserre rapidement et tant les collègues policiers que les civils offriront leur soutien au policier qui vit des moments difficiles.

Malgré tout, il ne changerait pas de profession pour tout l’or du monde. Avant d’être policier, John Dee Delormier était un chef de bande élu au conseil. «C’est beaucoup plus facile être peacekeeper que politicien», croit-il. La bureaucratie qui entoure les décisions politiques ralentit considérablement les actions, comparativement à l’action policière, qui est concrète et généralement rapide.

La formation

Pour devenir membre des Peacekeeepers de Kahnawake, chaque futur policier reçoit la même formation que les policiers de la Gendarmerie royale canadienne, à Régina en Saskatchewan. À une différence près. «À la fin, on ne prête pas serment à la Reine, souligne le peacekeeper. On prête serment à notre chef de police quand on revient à Kahnawake.»

Le tabac et le poker

Il est connu que les peacekeepers de Kahnawake n’interviennent pas dans les affaire reliées au tabac et au poker sur le territoire de la réserve. Pourquoi? Selon John Dee Delormier, les peacekeepers ont pour mandat de faire appliquer les lois du code criminel, mais aussi celles en en vigueur sur le territoire mohawk. Le commerce de tabac et l’industrie du jeu sont considérés légaux dans la réserve en vertu de la Kahnawake Mohawk Law.

Les allégations à Val d’Or

Appelé à commenter les récentes allégations d’agressions sexuelles et d’abus de pouvoir de la part de policiers de la Sûreté du Québec envers des femmes autochtones à Val d’Or, le peacekeeper de Kahnawake est convaincu qu’une plus grande présence de policiers autochtones ferait une énorme différence sur le terrain. «Les policiers là-bas viennent de Laval, Saint-Constant ou n’importe où au Québec et arrivent à Val d’Or. Ils n’ont aucune idée de la réalité de vivre dans le Nord et du passé de ces gens-là (autochtones)», souligne M. Delormier. «Je sais que ce sont des allégations jusqu’à maintenant, mais d’entrée de jeu mon cœur va envers les victimes, parce que je suis autochtone. La réalité d’être autochtone au Québec et au Canada est différente de toute autre forme de minorité», commente le policier.

Quelques chiffres

4,3 M$:Les gouvernements provincial et fédéral financent les services policiers autochtones. Pour l’année 2015-2016, Kahnawake a reçu  4 385 000 $ des gouvernements pour les peacekeepers. De ce montant,  2 105 203 $ proviennent de Québec.

22:Le Québec compte 22 corps policiers autochtones qui desservent 44 des 55 communautés autochtones de la province.