chronique

Le moule des petites lèvres

le mercredi 06 février 2019
Modifié à 16 h 32 min le 06 février 2019
Par Michel Thibault

mthibault@gravitemedia.com

(Chronique) Je conçois qu’une personne au nez disproportionné veuille le faire redessiner.

L’appendice servant à respirer saute aux yeux. Si Dame Nature s’est trompée de pointure ou l’a mal assorti au reste du visage, il peut être opportun de faire intervenir un bon chirurgien pour corriger son erreur. Mais les petites lèvres ?

Je ne parle pas ici de la bouche qui se ratatine avec l’âge. Étant donné sa position très visible aussi, une injection de Botox dans le sourire peut se justifier.

Il est question ici de la vulve. Depuis une dizaine d’années, le nombre de chirurgies de cette partie de l’anatomie a explosé, selon plusieurs médias. Le nombre de Québécoises qui recourent à la nymphoblastie ou labiaplastie est en croissance «vertigineuse»,  rapportait entre autres TVA Nouvelles au début du mois de janvier. Les interventions sont demandées pour des raisons «esthétiques». Des femmes, surtout des jeunes, croient que leur sexe est «anormal». Elles veulent le faire rentrer dans  un mystérieux moule.

Difficile d’expliquer le phénomène. Les petites lèvres ne sont pas exposées aux regards. À moins d’avoir des aptitudes pour se produire au Cirque du Soleil, même sa propriétaire ne peut facilement les regarder en face.

Pourquoi les retoucher alors ? Mais, surtout, comment en vient-on à penser que cette partie de l’anatomie doit être comme ceci ou comme cela ?

«Il n’y a pas de mesure précise qui définit une longueur anormale des petites lèvres.  Le développement des petites lèvres est unique pour chaque fille», indique le CHU Sainte-Justine sur son site internet.

Pourquoi faudrait-il un modèle unique ? La nature s’épanouit dans la diversité. Faudrait-il tailler en forme de roses toutes les fleurs qui offrent un assemblage différent de pétales ?

J’attire votre attention sur ces mots de la réputée sexologue Jocelyne Robert, qui a réagi à l’article de TVA sur le sujet sur son compte twitter :  «La vulve, c’est comme un visage : on a 2 yeux, 1 nez, 1 bouche et on est différentes. Cela EST NORMAL. Ça suffit les mutilations !»

Bien que librement consenties, ces chirurgies de l’intime rappellent en effet l’excision, une pratique barbare à éradiquer. Ce mercredi 6 février est d’ailleurs la Journée internationale de lutte contre les mutilations génitales.

Les éléments de l’appareil reproducteur féminin qui sont concernés ne s’adressent pas au sens de la vue. Ils relèvent du toucher. En témoignent les nombreuses terminaisons nerveuses très sensibles des petites lèvres. Les amputer, c’est se couper de plaisir.