Société

Mamans à moto

le samedi 20 avril 2019
Modifié à 9 h 40 min le 20 avril 2019
Par Michel Thibault

mthibault@gravitemedia.com

(Reportage publié en juin 2002) Vroum, vroum, vroum ! Une rutilante moto s’arrête à un stop. Des cheveux blonds frisottés volettent autour du casque du conducteur tout de cuir noir vêtu. Sous des lunettes fumées opaques comme la boule numéro huit au billard, une bouche dessinée au rouge à lèvres. C’est une fille ! C’est souvent une fille. Longtemps passagères accrochées dans le dos d’un chum, les femmes sont de plus en plus nombreuses à passer aux commandes des motocyclettes. Plusieurs encouragées par leur mari. Secrétaire de l’Association de motocyclistes du lac Saint-Louis qui regroupe des adeptes de Châteauguay à Valleyfield, Claudette Bissonnette a fait de la motocyclette assise derrière son conjoint pendant quelques années. Il y a cinq ans, à la fin de la saison, elle a ouvert le cabanon à son domicile, il contenait deux motos. « J’ai demandé à mon mari, c’est à qui celle-là ? Il m’a répondu : à toi ! Sur le coup, je doutais de ma capacité. J’ai suivi un cours et j’ai constaté que j’étais bonne ! », raconte Mme Bissonnette, qui est maintenant une passionnée des longues balades à deux roues. « J’adore ça ! Quand j’enfourche ma moto, j’oublie tout, c’est une forme d’évasion. » Dans le club qui compte 155 membres, une trentaine de femmes conduisent leur propre moto. La plupart, des mamans dans la quarantaine qui s’adonnent à cette activité comme d’autres font du ski ou jouent aux quilles. Du nombre, Johanne Rolland mentionne que c’est aussi son mari qui a insisté pour qu’elle prenne les guidons. « Il jouait au golf et du jour au lendemain, il a décidé de faire de la moto ! Quand il m’a annoncé ça, je ne voulais rien savoir. J’avais peur », explique la dame, finalement conquise. Comment sont-elles perçues ? Mme Rolland travaille à l’école Saint-Joseph à Mercier. Son moyen de transport ne laisse pas indifférent. « Quand ils me voient pour la première fois, les enfants disent : ha wow, Johanne, t’as une moto ! T’es cool ! » « Les gens sont surpris que j’aie une moto. Je sens qu’ils regardent ça avec une pointe d’admiration. Ils trouvent ça le fun ! », dit Mme Bissonnette. Une autre adepte, Amanda Dade, pas membre du club, confie qu’elle se fait jeter beaucoup de regards bizarres lorsqu’elle roule à moto. « Une fois, dans le stationnement d’un dépanneur, une vieille dame que je ne connaissais pas m’a fait des reproches. Elle m’a dit qu’aller à moto n’était pas convenable pour une femme », relate Mme Dade. Elle, c’est son père Russell qui lui a donné la piqûre quand elle était toute petite. Il l’emmenait en balade quand elle était enfant. « Quand j’ai commencé à conduire, j’étais craintive. Mon père m’a aidée au début en tenant l’arrière de la moto comme quand j’avais trois ans et que j’apprenais à aller à bicyclette à deux roues », relate la jeune femme de 21 ans. Signe de l’engouement grandissant, il existe depuis 1994 une Association des femmes motocyclistes du Québec qui grandit à toute vitesse. « L'an dernier à pareille date, nous arrivions tout juste au nombre de cinquante membres. Aujourd'hui, la saison à peine entamée, nous sommes fières d'annoncer que l'Association compte quatre-vingt-quatorze membres ! Et c'est sans compter les demandes que nous recevons chaque semaine ! », dit la présidente de l’organisation, Isabelle Gélinas. « La beauté de la chose, c'est que nous recevons les mêmes échos des autres associations motocyclistes, mixtes celles-là : les femmes en ont marre de rouler assise derrière. Elles prennent le guidon ! », lance-t-elle. Selon Mme Gélinas, les fabricants de motocyclettes affirment que, depuis septembre 2001, environ 25 % de leur clientèle est composée de femmes alors qu’elles ne représentaient que 6 ou 7 % auparavant. « La clientèle féminine augmente d’année en année. Je dirais qu’on vend quatre motos sur dix à des femmes », indique Richard Faubert, de Richard Yamaha, à Châteauguay. Chez Richard Moto Sport à Saint-Rémi, le ratio est de un sur dix. Ce qui guide le choix des clientes ? « La principale préoccupation des femmes, c’est que leurs pieds touchent à terre. Bien souvent il faut faire des modifications, comme abaisser la suspension », indique le propriétaire, Richard Pitre. Gars et filles optent tous majoritairement pour les modèles de route dits «customs » plutôt que les sportives explosives. « Les motos sports représentent environ 20 % du marché », note M. Pitre. « Le prix des assurances freinent les élans des acheteurs. La prime pour une moto sport peut coûter 1000 $ de plus par année », signale Richard Faubert. Catherine Duclos, de l’Académie de conduite de Châteauguay, note que les femmes étaient majoritaires dans les cours de conduite de moto lorsque ceux-ci n’étaient pas obligatoires, avant janvier 2000. Maintenant qu’ils le sont, les hommes sont plus nombreux. « Depuis le début de cette année, quatre demoiselles ont suivi le cours sur un total de 18 inscriptions », indique Mme Duclos.