chronique
Opinion

Partager en 2016

le lundi 11 janvier 2016
Modifié à 0 h 00 min le 11 janvier 2016
Par Michel Thibault

mthibault@gravitemedia.com

Avec cinq frères et deux sœurs, j’ai appris le sens de partager tôt dans la vie. À l’époque, dans les années 70, ce verbe imposait un sacrifice, il signifiait une perte et un fractionnement. T’avais un gâteau. Pour le partager, il fallait le couper, l’amputer.

Chacun en recevait une fraction dont la taille s’amenuisait en fonction du nombre d’estomacs. Chez nous, c’était environ un neuvième. Environ parce que ce n’est pas évident de tailler des parts égales à l’œil plus grand que la panse parfois.

C’était comme ça pour tout. La nourriture, les chambres, les jouets. Dans ce dernier cas, c’est le temps d’utilisation qui était partagé.

L’informatique a complètement transformé la notion. L’écran d’ordinateur a ouvert un monde merveilleux à rendre vert de jalousie le miroir d’Alice. Dans cet espace électronique, tu prends une photo de bébé mettons. 13 personnes la veulent. Pour les satisfaire, pas besoin de découper l’image. Aucunement nécessaire de la diviser comme un gâteau. D’ailleurs, ce serait très moche s’il fallait le faire. Chaque destinataire ne recevrait qu’un fragment de bébé, une oreille, le nez. Ça n’aurait pas de sens.

Avec un ordi, tu partages une photo avec 13 ou même un million de personnes et chacun l’obtient entière. Et, toi-même, tu la conserves !

Le même phénomène fonctionne avec les mots, la musique, la vidéo. L’informatique permet de partager ces choses sans s’en départir. Et en faisant en sorte que chacun en possède la totalité. Ça se fait en un cliquant des doigts. Et ça ne coûte rien.

C’est assez incroyable quand on s’y arrête. On aimerait que ce soit possible dans le monde concret devant l’écran, avec la viande hachée ou la tarte à la rhubarbe. Le problème de la faim sur la Terre serait réglé.

Cette possibilité de produire de l’information visuelle et auditive et de la partager à l’échelle de la planète à partir d’un simple téléphone qu’on traine partout constitue une grande révolution.

À mon avis, c’est pour le mieux. L’information c’est le pouvoir, disait J. Edgar Hoover, le tout premier directeur du FBI.

Bien sûr, cet univers comporte des revers qui commandent la prudence. Il faut être conscient que tout ce qu’on envoie derrière le miroir peut se multiplier à l’infini devant des yeux indiscrets.

Aussi, à l’heure où des médias bâtisseurs de la mémoire collective abandonnent le concret du papier, j’ai une inquiétude. On peut encore déchiffrer les hiéroglyphes anciens sans électricité. Par contre, une tablette, sans courant, pour cause de guerre ou de virus ou de tempête solaire, c’est le néant.