Tribune libre
Opinion

Un tort irréparable aux femmes

le jeudi 30 avril 2015
Modifié à 0 h 00 min le 30 avril 2015
Par Production Gravite

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Mme Julie Miville-Dechêne, présidente du Conseil du statut de la femme du Québec,

Votre mémoire en commission parlementaire sur le projet de loi 20 est très surprenant et dénote une connaissance très fragmentaire d'un problème fort complexe .

Le problème d'accessibilité des soins en première ligne est connu et dénoncé depuis très longtemps par les médecins qui déplorent les mauvaises décisions gouvernementales et le peu d'aide apporté par le ministère de la santé pour favoriser une médecine efficiente. Cette situation ne repose pas uniquement sur les médecins de famille, malgré les propos diffamatoires de Monsieur Barrette.

C'est tout le réseau de la santé qui est embourbé et qui contribue à un problème de congestion en première ligne.

Nombreux sont les groupes déplorant le projet de loi 20, Me Ménard, ardent défenseur des patients, le Collège des Médecins du Québec dont le mandat est d'assurer une médecine de qualité au service du public, les doyens des 4 universités dont le mandat est de favoriser une relève de qualité, l'AJMQ (association des jeunes médecins du Québec), l'AMUQ ( association des médecins urgentistes du Québec), M Paul Lamarche, administrateur en santé et bien d'autres .

Comment se fait -il que le Conseil du statut de la femme dans son souci pour l'intérêt des femmes patientes, ne s'est-il pas rallié à ces experts en la matière ?

L'attitude du Conseil du statut de la femme est incompréhensible et affligeante.

Le Conseil a-t'il mal compris les conséquences désastreuses du projet de loi 20?

Le Conseil craint-il de déplaire à l'état qui subventionne sa propre institution?

Le Conseil du statut de la femme ne réalise-t-il pas que le projet de loi 20 va nuire aux femmes du Québec, les jeunes filles, les mères, les femmes plus âgées, toutes les femmes ?

Peut-on occulter qu'avec toutes les exigences du projet de loi 20, les médecins vont devoir exercer une médecine de débit ? Et pour se faire, les médecins devront délaisser des champs de pratique qui ne permettent pas de remplir les quotas du ministre .

Les activités menacées par le projet de loi, qui pénalisent directement les femmes sont l'obstétrique (13 rendez vous sont nécessaires pour un bon suivi lors d'une grossesse normale), la périnatalité, les cliniques de santé du sein, les cliniques d'allaitement, les trousses d'agression sexuelle, les cliniques de planning familial, les cliniques de santé mentale ( plus de femmes que d'hommes consultent pour ces services). Ce sont des soins essentiels pour les femmes que le Conseil du statut de la femme met en péril.

De plus, ce sont les patients les plus vulnérables qui seront touchés par le projet de loi. Les femmes figurent en grand nombre parmi la clientèle vulnérable, des femmes avec des maladies chroniques, des femmes avec des problèmes de santé mentale, des femmes atteintes de cancer, des femmes réfugiées, des femmes toxicomanes ou alcooliques .

Aujourd'hui, nous sommes femmes médecins beaucoup plus nombreuses ; notre pratique est teintée de notre sensibilité, de notre vision des choses, de nos préoccupations sociales et familiales.

Mais dans le projet de loi du Ministre Barrette, je me sens bafouée ,profondément consternée et j'ai l'impression que nos différences ne sont pas perçues comme complémentaires mais plutôt comme source du problème.

C'est infiniment triste en 2015 de mettre entre autre la féminisation de la médecine comme responsable de la précarité du système de soins en première ligne.

Avec la féminisation de la médecine,un tournant pourtant réclamé à grands cris a vu le jour. On ne valorise plus le volume des médecins masculins d'antan mais la qualité de la relation médecin-patient, l'écoute et le temps de qualité passé avec son médecin.

Et avec votre prise de position, ce sont toutes les Québécoises qui subiront les conséquences de votre incurie à remplir le mandat du Conseil du statut de la femme, soit de défendre les droits et les intérêts des Québécoises. En plus, de ne pas protéger les intérêts de toutes les femmes, les femmes médecins y compris, vous endossez une pratique de débit, de travail à la chaîne et non de qualité et d'humanisme car ce sont l'écoute, l'empathie et la prise en charge globale qui caractérisent entre autre le travail des femmes médecins.

Il n'y a pas de mot pour vous décrire ma tristesse et ma profonde déception de voir les droits des femmes, de mes concitoyennes, malmenés ainsi.

Quel tort irréparable vous faites aux femmes face à cette catastrophe annoncée !

Sylvie Dufresne,

Médecin de famille depuis 31 ans.