chronique

Alors, brûlons les Picasso !

le dimanche 20 janvier 2019
Modifié à 9 h 05 min le 20 janvier 2019
Par Michel Thibault

mthibault@gravitemedia.com

Deux cas de censure pour cause d’appropriation culturelle ont animé les langues ces derniers temps. Un humoriste, Zach Poitras, a été viré d’un spectacle en raison de ses dreadlocks associés aux Noirs alors qu’il est Blanc. Le spectacle de chants d’esclaves SLAV a été rayé de la programmation du dernier Festival de jazz de Montréal. Critiquer les œuvres, adresser des reproches à leurs créateurs, soit. L’art est un pré-texte, matière à discuter, échanger, réfléchir. Les supprimer pour la raison évoquée au premier paragraphe est une incurie. Ça va à l’encontre de l’essence même de la création.
  À l’époque, c’est la manière de peindre de Picasso qui a choqué
S’il fallait détruire toutes les œuvres issues d’une appropriation culturelle, les murs des musées souffriraient de désertification. J’ai retenu un grand principe fondamental de mes études : «L’art se nourrit d’art». L’être humain n’a pas l’art infus. Il ne crée pas à partir du néant. Il puise dans la nature, son environnement, l’histoire et, surtout, dans les œuvres existantes. Un des tableaux les plus célèbres, un chef-d’œuvre évalué à quelques millions de dollars, est le fruit d’une appropriation culturelle. Pablo Picasso a peint en 1907 «Les Demoiselles d’Avignon», une toile considérée comme un point tournant dans l’histoire de l’art. Ce, en raison de la manière dont l’artiste a représenté cinq prostituées. Picasso s’est inspiré de masques africains pour peindre les visages des femmes. Des masques qu’il avait vus au musée d’ethnographie du Trocadéro. Et qui, pour leurs auteurs, n’étaient pas de «l’art» mais des symboles sacrés. Picasso les a détournés de leur sens et leur essence en les imitant sur une surface plane pour leurs caractéristiques formelles. Il s’agit clairement d’appropriation culturelle. Faudrait-il brûler «Les Demoiselles d’Avignon» ? Mais non. On perdrait une mine inouïe d’information. L’œuvre parle d’elle-même, de lignes, de couleurs, de formes, des relations entre tout ça. Elle parle aussi de sa conception, des fragments de réel que l’artiste a assemblé à sa manière. L’œuvre parle aussi du temps. «Les Demoiselles D’Avignon» n’auraient pas pu voir le jour à la Renaissance. Elle parle aussi de la société dans laquelle elle est née. En 1907, le chef-d’œuvre de Picasso a fait des vagues. Les critiques n’ont pas été tendres. Pas à cause de l’appropriation culturelle. À l’époque, c’est la manière de peindre de Picasso qui a choqué. Sa façon de représenter les corps et l’espace pas du tout réaliste. Par chance, les réactions négatives n’ont pas mené l’œuvre aux poubelles.
De tout temps, les artistes s'inspirent des oeuvres existantes, comme ici Edouard Manet, qui a repris la composition de la Vénus d'Urbin, du Titien, à la moderne. [caption id="attachment_56393" align="alignleft" width="521"] L'Olympia, huile sur toile d'Édouard Manet, de 1863.[/caption] [caption id="attachment_56394" align="alignleft" width="519"] La Vénus d'Urbin, une oeuvre du Titien datant de 1538.[/caption]