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Bébés barricades

le lundi 06 juillet 2015
Modifié à 0 h 00 min le 06 juillet 2015
Par Production Gravite

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Il y a 20 ans*, la crise d'Oka bouleversait le quotidien de milliers de citoyens de la région. Maxime Dagenais et Ashley Standup ont vu le jour dans cette période difficile. Lui de Châteauguay et elle de Kahnawake. Voici l'histoire de ces deux «bébés barricades», selon l'expression employée en anglais par The Eastern Door.

*Cet article a été publié en juillet 2010 à l'occasion du 20e anniversaire de la crise d'Oka. Nous vous le présentons en rappel.

L'histoire d'Ashley

Comme le raconte l'hebdomadaire mohawk dans une récente édition, Janice Standup était enceinte de neuf mois quand le pont Mercier s'est retrouvé bloqué et tous les accès à Kahnawake barrés. La jeune femme devait accoucher à l'hôpital Anna-Laberge. «Mais quand la crise s'est produite, le Dr Schlosser (de la réserve) m'a dit que ce serait plus sécuritaire si j'accouchais ici et m'a demandé si j'étais d'accord. J'ai dit oui. J'étais terrifiée», a relaté Mme Standup au Eastern Door. Un examen pratiqué le 27 juillet a changé la donne. «Le médecin m'a dit que le bébé était retourné et que je devais me rendre à l'hôpital en ambulance de toute urgence.» Pas évident avec les points de contrôle à toutes les entrées/sorties de la réserve. Mme Standup et son conjoint Mark ont mis le cap sur la route 207. Les soldats sur place à la limite de la réserve ont pointé des armes sur eux et ont maintenu son mari au sol, raconte-t-elle. «Ils m'ont demandé de lever ma jupe pour prouver que j'étais enceinte. C'est là que j'ai eu mes premières contractions.»

Le couple a finalement pu atteindre sa destination. «Malgré le chaos, les employés de l'hôpital ont été formidables», a confié Mme Standup au Eastern Door.

Le 28 août, craignant un assaut de l'armée, les parents ont décidé de quitter Kahnawake avec leur petite Ashley et leurs deux autres enfants, avec d'autres Mohawks. À la sortie de la réserve, un policier a demandé à Mme Standup quel âge avait sa petite ? «Il m'a dit que je devrais la couvrir. Je lui ai demandé pourquoi ? et il ne me l'a pas dit.»

La réponse à la question a surgi avec fracas un peu plus loin, dans le détour du Whisky Trench à LaSalle. Des citoyens en colère lapidaient le convoi de voitures quittant Kahnawake. Tandis que le père conduisait le plus vite possible, la mère essayait de protéger son bébé avec son corps, leur garçon de neuf ans faisait de même avec son petit frère de quatre ans.

L'histoire de Maxime

«Je dis toujours que je suis né en cr… et que je vais mourir en cr…», lance Maxime Dagenais en riant. Quand il est né, le 14 août 1990 à l'hôpital Anna-Laberge, l'atmosphère n'était pas joyeuse. Ses proches qui habitent Laval, entre autres, prenaient mal de devoir faire de longs détours à cause du pont Mercier bloqué par des Mohawks. «Quand les gens venaient me voir, ils sacraient. Ils sacraient après les maudits Indiens», a raconté le jeune homme en entrevue au Soleil. «Je suis né dans un climat assez tendu. C'est sûr que ça a eu une influence sur le nouveau-né.»

Pour des gens de son entourage, le blocage du pont Mercier a eu des conséquences dramatiques qui allaient au-delà des heures perdues dans le trafic. «Des gens ont perdu leur emploi parce qu'ils étaient incapables d'arriver à l'heure», souligne Maxime. «Mon père travaillait à LaSalle. Il avait pu changer d'horaire; si non, il aurait perdu sa job.»

Est-ce que ses proches en veulent toujours aux Mohawks ? «Presque pas. L'événement les a marqués mais, 20 ans après, ça commence à retomber», dit-il. «Mais les gens ont peur qu'ils bloquent encore le pont. La peur est là.»

Maxime confie qu'il avait lui-même des préjugés sur les autochtones que l'école a dissipés. «Un moment donné, j'ai travaillé au Zellers. Quand je les voyais arriver avec leur carte de bande, je me disais : un autre qui paye pas de taxes !», lance-t-il. «Au cégep, j'ai suivi un cours en anthropologie. J'ai étudié leur histoire. J'ai appris que les Mohawks de Kahnawake avaient une entente spéciale concernant les taxes», dit-il. Entente liée aux cessions de territoire.

«Pour les Indiens, on ne pouvait pas être propriétaires de la Terre. C'était ça la grande différence avec les Européens», observe Maxime. Il fait valoir que les autochtones ont beaucoup appris aux colons pour les aider à survivre.

Maxime estime toutefois que les autorités mohawks exagèrent parfois quand ils invoquent leurs droits ancestraux. Il cite en exemple le refus du conseil mohawk de laisser la GRC accompagner la flamme olympique sur son territoire en début d'année. «La flamme, c'est un symbole humanitaire. Il ne faut pas rester accrocher aux vieilles rancunes.»

Selon le jeune homme qui va entreprendre des études en sciences du langage à l'UQAM en septembre, l'éducation combat les préjugés. «Les jeunes qui sont allés au cégep et à l'université sont beaucoup plus ouverts d'esprit envers les autochtones.»