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Homme et éléphant unis jour et nuit

le vendredi 28 août 2020
Modifié à 15 h 24 min le 28 août 2020
Par Michel Thibault

mthibault@gravitemedia.com

(Texte publié le 3 septembre 2008) Lève ta trompe, a dit son entraîneur à l'éléphant portant quatre gamins sur son dos quand il a aperçu le journaliste du Soleil prenant le groupe en photo. Avançant tranquillement sur la piste ronde où elle transporte les visiteurs du Parc Safari, Limba a obéi à la consigne. Le lien qui unit le pachyderme et Robert Crawford est assez particulier. Le porte-bonheur de trois tonnes occupe toute la place dans le cœur de l'homme de 35 ans. Et toute sa vie. Celui-ci a bien voulu accorder une entrevue à l'auteur de ces lignes, tout en travaillant. Dès qu'il est arrivé près de son entraîneur, Limba a allongé sa trompe et a lentement reniflé le journaliste des genoux jusqu'au cou. Ce contrôle digne d'un aéroport était un peu stressant considérant la force incroyable de l'animal. Il peut soulever jusqu'à 400 kg avec son long nez formé de 40 000 muscles. Aussi, il ne faisait pas chaud en ce dernier lundi d'août. À peine 17 degrés. Loin des températures tropicales qui conviennent aux éléphants. Et si elle (Limba est une femelle) éternuait ? «Maintenant, Limba en sait plus sur vous que moi», a mentionné M. Crawford, marchant à pas lents entre le reporter et sa compagne jouant au taxi. Les deux forment un tandem inséparable. Ils passent plus de temps ensemble que la plupart des couples d'Homo sapiens. «On vit ensemble 24 heures par jour, sept jours par semaine», a révélé M. Crawford. Ça, c'est l'été. L'hiver, les deux compagnons se voient un peu moins souvent, soit de 16 à 18 heures par jour. Peur des orages Tout l'été, M. Crawford passe ses nuits au Parc Safari dans une roulotte à proximité de Limba. «Je dors à une dizaine de pieds d'elle mais, quand il y a de l'orage comme hier, je dors avec elle», précise-t-il. Dans sa vie, l'éléphante passe en premier, avant la famille, les amis, les loisirs. Il n'a pas de blonde, pas de téléphone et ne va jamais voir de films. En un an, Robert Crawford a passé seulement deux semaines loin de sa protégée; pour aller au chevet de son père très malade en Écosse. Pour qu'il en soit autrement, il faudrait qu'il exerce un autre boulot. Tous les entraîneurs d'éléphants se consacrent entièrement à leur bête. L'éléphant est un grand sentimental qui a d'immenses besoins émotionnels. En captivité, il dépend entièrement de son entraîneur, qui représente sa famille, sa protection. «Plus on passe du temps avec l'éléphant, plus le lien qui nous unit à lui est profond. C'est une relation unique», dit M. Crawford. Cette proximité permet à l'entraîneur d'être constamment à l'affût de l'humeur et des besoins de sa compagne asiatique qui, à 44 ans, est réputée le plus vieil éléphant au Canada. «Limba est très intelligente. Elle communique avec moi. Elle me dit quand elle est fatiguée, quand elle a faim. C'est un animal fascinant.» [caption id="attachment_88602" align="alignnone" width="2560"] Photo gracieuseté[/caption] Un éléphant qui joue à cache-cache Limba et M. Crawford ont un statut spécial au Parc Safari. Pendant leur séjour, qui se terminait la fin de semaine dernière, ils peuvent circuler dans tout le parc en dehors des heures d'ouverture. Ce privilège tient au fait que les éléphants ont besoin de bouger. Dans la nature, ils peuvent marcher de 60 à 100 km par jour. Durant leurs temps libres, il arrive que Limba et son ami à deux pattes jouent à… cache-cache ! L'éléphante ne doit pas gagner souvent ! Cette réflexion a fait protester M. Crawford. «Elle est difficile à trouver. Un éléphant qui se cache ne fait pas de bruit», a-t-il fait valoir. Malgré son poids, l'éléphant se déplace en effet en silence comme s'il marchait sur de gros oreillers. Tout près de Limba, on n'entend pas du tout ses pas et on ne sent pas le sol trembler. Plutôt qu'à cache-cache, Limba préfère jouer au ballon, précise son guide. L'éléphante fait aussi de la peinture et elle joue de l'harmonica. En plus de se balader et jouer avec, M. Crawford soigne sa compagne, la nourrit, la lave, lui coupe les ongles. [caption id="attachment_88603" align="alignnone" width="2560"] (Photo gracieuseté)[/caption] Aucun risque Autour de la piste où l'animal terrestre le plus fort transporte les visiteurs, aucune chaîne ni solide barrière pour la retenir. Un beau jour, Limba pourrait-elle se choquer et faire des ravages ? «Il n'y a aucun risque. Limba est très bien entraînée et elle est très maternelle», assure Robert Crawford.

Lors d'un arrêt pour embarquer des passagers, l'éléphante en profite pour sentir l'appareil-photo pendu au cou du journaliste. Le bout de sa trompe a décrit un cercle autour de l'objectif.
Comment fait-elle pour savoir quand son entraîneur lui parle à elle plutôt qu'au reporter ? «Elle sait faire la différence parce qu'elle m'observe constamment. Regardez son œil», a répondu M. Crawford à cette question, le grand œil brun de son amie effectivement fixé sur lui, épiant chacun de ses gestes. «Si elle constate que je suis distrait, elle peut en profiter pour s'étirer une patte.»
Originaire d'Écosse, M. Crawford travaille avec les éléphants depuis neuf ans et avec Limba depuis trois ans. Pour exercer son métier, il a suivi un cours de trois semaines en Arkansas mais, dit-il, ce sont les éléphants eux-mêmes qui lui ont donné sa formation. L'entraîneur admire beaucoup le plus gros mammifère terrestre et se désole qu'il soit menacé d'extinction. «Les éléphants pourraient avoir totalement disparu dans 70 ans. Ce serait une perte terrible», dit-il.
Avec le braconnage, l'urbanisation menace plusieurs espèces sauvages en faisant disparaître leur habitat naturel dans de nombreux pays du monde.
Par son travail, M. Crawford espère contribuer à faire connaître les éléphants pour assurer leur survie. Lui-même fait partie d'une espèce rare en voie de disparition. Étant donné les exigences du métier, les entraîneurs d'éléphants sont de moins en moins nombreux dans le monde. Le Canada en compte environ six. Au pays, seulement trois zoos offrent des tours d'éléphants et une dizaine en Amérique du Nord.
Limba et M. Crawford sont rattachés au zoo Bowmanville près de Toronto. Le Parc Safari loue leurs services pour la saison estivale.