Un fléau nommé gobie

La présence d'un poisson venu d'Asie à l'embouchure de la rivière Châteauguay inquiète. Le gobie à taches noires cause déjà beaucoup de tort à certaines espèces indigènes dans le lac Saint-Louis.
«On a pêché dans le lac Saint-Louis à Léry l'an passé. On a attrapé que du gobie. C'est très alarmant», affirme Priscilla Gareau, docteure en biologie et directrice générale d'Ambioterra, un organisme environnemental. «Le gobie est très agressif, précise-t-elle. Il mange les œufs d'autres espèces et il détruit même les nids.»
Inexistant jadis au pays, le gobie a voyagé dans les navires remplissant leurs ballasts d'eau en Asie et les vidant ensuite dans les Grands lacs. Il a été détecté dans le fleuve Saint-Laurent pour la première fois en 1997. Il est considéré comme une «espèce exotique envahissante».
Jusqu'où dans la rivière ?
Un pêcheur pratiquant son sport préféré dans la rivière dans le parc de la Commune, près du lac Saint-Louis, à Châteauguay s'est plaint au journal, cet été, de la présence du gobie.
Jusqu'où l'indésirable s'est-il avancé dans le cours d'eau ? Aucune étude n'a encore été menée pour le déterminer. Mais, pour le moment, aucune capture de gobie à la hauteur de Mercier, Sainte-Martine ou Huntingdon n'a été rapportée, selon Geneviève Audet, biologiste à la Société de conservation et d'aménagement du bassin de la rivière Châteauguay (SCABRIC).
Limité dans ses déplacements
Poisson de fond, le gobie est limité dans ses déplacements. «À notre connaissance, il ne peut pas traverser les gros obstacles», fait part Mme Audet.
Même son de cloche du côté du ministère des Forêts, de la Faune et des Parcs. «Le gobie abonde dans le lac Saint-Louis et dans tout le couloir fluvial. C'est sûr qu'il y en a à l'embouchure de la rivière Châteauguay. Mais est-ce qu'il y en a partout jusqu'à Elgin ? Non», affirme Florent Archambault, technicien de la faune au ministère. Le gobie pourrait être présent jusqu'au premier obstacle dans la rivière, à son avis.
Les digues qui barrent le cours d'eau à Châteauguay, à Sainte-Martine et à Huntingdon pourraient ainsi agir comme remparts contre l'envahisseur.
Passes migratoires
Pour la biologiste Priscilla Gareau, le gobie pourrait franchir les digues par les passes migratoires qui y sont aménagées. «Si l'anguille d'Amérique est capable de traverser probablement que le gobie aussi, observe-t-elle. Le gobie est présent dans le Richelieu. On pense qu'il va sûrement faire la même chose ici.»
Indélogeable
Une fois qu'il a colonisé un site, le gobie est indélogeable. Le ministère et les organismes posent des gestes pour éviter sa propagation dans les eaux intérieures, non connectées au fleuve Saint-Laurent. «Il y a des efforts de sensibilisation de la population pour ne pas relâcher le gobie et autres espèces envahissantes à travers la province», souligne Geneviève Audet.
Interdit mort ou vif
Depuis 2013, utiliser le gobie mort ou vif comme appât est interdit. En cas de capture, le poisson ne doit pas être remis à l'eau mais éliminé, préconise le ministère des Forêts, de la Faune et des Parcs.
Navires contrôlés
Pour contrer le déversement de poissons exotiques par le transport maritime, le Canada a adopté en 2006 un règlement «qui exige que les navires qui entrent au Canada gèrent leurs eaux de ballast afin de réduire les risques d’introduction d’espèces aquatiques envahissantes», indique Mélany Gauvin, de Transports Canada. Tous les navires qui arrivent de l'extérieur sont contrôlés par des inspecteurs canadiens et américains avant d'entrer dans le haut Saint-Laurent et les Grands Lacs, assure-t-elle. Une étude de l'impact de l'application de la règlementation menée en 2011 «a déterminé qu’il y avait une nette diminution des risques d'introduction et de prolifération d’espèces aquatiques non indigènes envahissantes et nuisibles», fait part la porte-parole.
Le Canada a aussi adhéré à une convention internationale sur le sujet qui doit entrer en vigueur «après la ratification d’états représentant 35 % du tonnage de la flotte mondiale des navires de commerce», mentionne Mme Gauvin. Le taux est actuellement de 32,86 %. «La mise en œuvre de la Convention répondra davantage aux risques des espèces envahissantes», observe-t-elle.
Refuge faunique
Héritage Saint-Bernard préoccupé
Lors des dernières études, il y a cinq ans, le gobie n'était pas présent dans les zones humides du refuge faunique Marguerite-D'Youville, dans l'île Saint-Bernard, où se reproduisent plusieurs espèces de poissons indigènes, selon Dominic Gendron, d'Héritage Saint-Bernard. «Là, on ne sait pas, a-t-il indiqué. Mais ce n'est pas sûr que le gobie fréquente les marais. Mais c'est certain que ça nous préoccupe.»
Gobie à taches noires
Poisson originaire d'Asie
Taille de 8 à 15 cm
Yeux globuleux et proéminents
Vit au fond de l'eau
Se nourrit de larves d'insectes, œufs de poissons, moules zébrées
Il est une menace pour le fouille-roche gris et autres petits poissons
L'achigan à petite bouche s'en nourrit
Présent dans le fleuve, le Richelieu, la rivière des Outaouais et l'embouchure de la Châteauguay
Absent des eaux intérieures du Québec
(Source : Ambioterra. 2014. Le gobie à taches noires, Ambioterra, Saint-Chrysostome)