chronique
Opinion

Hitler et mes petits-enfants

le mercredi 11 novembre 2015
Modifié à 0 h 00 min le 11 novembre 2015
Par Michel Thibault

mthibault@gravitemedia.com

Sans l’ignoble Hitler, mes adorables petits-enfants n’auraient jamais vu le jour.

Ils sont les fruits d’un arbre généalogique aux branches éloignées d’Italie par le soufre de la Deuxième Guerre mondiale. Leurs grands-parents paternels, Remo D’Alesio et Linda Castelli, ont grandi à Umito et Pozza, deux petits villages voisins où les conditions de vie étaient misérables il y a deux générations.

Aucune épicerie, aucun centre d’achat. Les gens survivaient avec la nourriture qu’ils réussissaient à produire eux-mêmes. « Tout ce qu’ils faisaient c’était travailler pour manger », dit Paolo, le papa de mes petits-enfants. Le blé d’Inde en menait large dans les estomacs. « Ils mangeaient beaucoup de polenta, un plat à base de maïs, parfois deux fois par jour », mentionne mon gendre. Dès l’âge de 10 ans, son père Remo était soutien de famille. Il gardait des moutons. Une centaine de brebis à traire chaque jour. Leur laine servait à fabriquer les seuls vêtements qu’ils porteraient. « Ils devaient même faire leurs souliers », souligne Paolo.

Sa mère travaillait aussi dur pour survivre. Sa mémoire est marquée par la capture de son frère par les Allemands. Il faisait partie de la résistance. Fusillé avec deux autres. Des garçons de 20 ans.

Elle était une jeune femme de cet âge quand elle est montée à bord d’un bateau à destination du Canada le 19 novembre 1953. Son père lui avait donné sa bénédiction et 20 $. Pas de Skype ni de Facebook pour rester près des yeux malgré l’océan entre eux.

Débarquée à Halifax après 12 jours en mer, Linda a rejoint un frère. Ils étaient nombreux à quitter l’Italie pour l’Amérique. « Tout le monde disait va au Canada, tu vas faire de l’argent. Le mot se passait », rapporte Paolo. Son aïeul Saverio avait été le premier de sa famille à venir au Canada en 1918. De retour en Italie, il avait bâti une maison avec l’argent gagné au Canada. Ses descendants en auront bien peu profité. Remo a laissé la propriété derrière lui quand il a mis le cap sur notre pays en 1952. Quelqu’un s’en est occupé pendant un bout. Elle est à l’abandon depuis quelques années.

Linda et Remo ont pris racine ensemble ici. Ont fondé une famille qui s’est nouée à la mienne. Ils ont avec eux des morceaux d’Italie. Des figuiers, des tomates. Mais ils ne sont jamais retournés dans leur pays natal. « Trop de mauvais souvenirs », confie Paolo. Ce "Souvenir", ces mémoires des grands-parents sont néanmoins précieux pour nous tous. Bon 11 novembre.   

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